Édito La Revue n°98
Chamboulement

Édito La Revue n°98
Chamboulement

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Roger Caillois, grand amoureux de la langue française, affirmait « Je ne crois pas que quoi que ce soit d’important puisse s’exprimer en mots de plus de quatre syllabes ».

Il n’aura pas fallu en tout cas au gouvernement plus de deux fois quatre syllabes pour mettre en œuvre le « démembrement par contournement » de la fonction publique.

Certes, toute généralisation est abusive et tout excès voué à l’insignifiance et il conviendrait de se garder de commettre incidemment ce que l’on reproche précisément à d’autres.

Mais ce n’est pas grossir les choses et ne pas lire entre les lignes que de voir, dans le projet qui présente tous les risques désormais de devenir loi de la République, un chamboulement, une remise en cause radicale du dialogue social dans la fonction publique d’État selon la forme pratiquée depuis le décret du 28 mai 1982 modifié.

Certains s’en réjouissent. Cela mettrait fin à un formalisme débilitant, à une cogestion chronophage, voire même à un bavardage inutile et pire encore à un copinage coupable. Sur ce dernier point, dans l’hypothèse où cela serait avéré, on voit mal en quoi les employeurs publics auraient intérêts à mettre un terme à une pratique – pour pouvoir copiner il faut être au moins deux – qui leur serait pour moitié favorable.

Plus sérieusement, à ma connaissance, aucune étude ne démontre que la corruption, qui est plutôt affaire d’urbanisme et de commande publique, viendrait particulièrement se loger dans les rouages de la gestion des carrières des fonctionnaires. J’aurais la faiblesse de croire que la clarté imposée par le recours à des commissions paritaires serait un gage d’honnêteté des procédures. Ceux qui parlent de copinage, dès lors, seraient cousins proches de ce renard de fable qui voulait faire son repas de raisins placés trop haut pour lui…

Plus sûrement, je vois dans cet acharnement à démolir l’édifice issu du statut de 1946 une volonté au mieux d’efficacité technocratique, au pire de réaffirmation brutale de la position réglementaire du fonctionnaire telle qu’elle existait sous la troisième République. La tentative de certains élus d’encadrer le droit de grève dans la fonction publique territoriale participe peut-être de ce retour au passé.

Finalement, il se pourrait que l’efficacité technocratique dans son affirmation moderniste se nourrisse parfaitement d’un retour au passé. Le développement du recours aux contractuels, comme ligne de fuite vers un temps d’avant statut sans abolir pour autant le statut, est de ce point de vue sans doute d’une grande habilité : la fonction publique statutaire, ceinte de ses murs lézardés, contournée par les autoroutes de l’avenir…

Mais, pour citer Bergson, « si l’avenir n’était pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire » ? C’est là la raison d’être du syndicalisme, de celui en tout cas qu’il va nous falloir développer dans les temps à venir.

Syndicalisme, quelque chose d’important qui s’exprime en cinq syllabes. Cinq syllabes pour faire mentir tous ceux qui croient que nous avons dit notre dernier mot.