Date de publication: 25 Mai 2020 Éditorial de Jean-Marc Bœuf, secrétaire général
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Liberté, égalité, fraternité… différenciées ?
Le projet de loi « 3D »*, que la crise sanitaire semble avoir mis en sommeil (pour combien de temps ?) introduit un terme qui bien qu’il soit d’apparence solidement encadré par deux piliers traditionnels de l’organisation territoriale, décentralisation et déconcentration, n’appartient pas au vocabulaire de la République : différenciation.
Il s’agirait, je cite, de « s’assurer que chaque territoire dispose de lois et règlements adaptés à ses spécificités » et l’argument politique se fonde sur les résultats du « Grand débat » afin de mieux répondre à la demande citoyenne.
Sur le principe, personne ne peut en vouloir à un gouvernement de rapprocher l’organisation de l’État des besoins des citoyens dans les territoires. La question qui se pose est de connaître le projet de société que sous-tend pareil choix.
Nous touchons là à la politique et il ne s’agit pas d’en faire ici au sens de l’engagement partisan. En revanche, il est important de s’interroger sur ce que pourrait comporter, par rapport aux valeurs que nous défendons, pareil projet, tout en ayant bien conscience que ce n’est pas au travers d’un éditorial de quelques lignes que j’épuiserai la question.
La crise sanitaire que notre pays traverse, est, à l’heure où j’écris ces lignes, loin d’être achevée avec un état d’urgence prolongé jusqu’à début juillet. Je lis même, je ne sais si cela sera confirmé, qu’il nous faudra peut-être apprendre à vivre désormais avec ce virus, au-delà du seul épisode pandémique actuel.
Quel que soit l’avenir du micro-organisme en question, il est pour l’instant acquis qu’il aura mis cruellement en lumière les insuffisances politiques de l’État, je serai tenté de dire au sens premier du terme, celui de la cité où femmes et hommes vivent… et meurent. La crise du système hospitalier est de ce point de vue révélatrice de choix politiques qui s’avérèrent funestes.
Il aura également fait apparaitre crûment la différenciation entre citoyennes et citoyens en fonction de l’âge, du sexe, de l’état de santé, de l’endroit où l’on vit, du métier qu’on exerce et du revenu qu’on en tire.
Pour nous qui sommes des agents du service public, après un tel constat à la suite d’une pareille crise, si « différenciation » dans l’organisation de la République devait signifier pour certains territoires, notamment le plus riches, la possibilité de développer ou d’adapter les services publics sur la seule loi de l’intérêt local au détriment de l’intérêt général, nous ne pourrions l’approuver.
Nous avons écrit, pour nos secteurs, que la façon dont l’État employeur avait traité de manière différenciée ses personnels était inacceptable et qu’à des questions compliquées il fallait parfois savoir apporter des solutions simples, le même service rendu partout et à toutes et tous. Et bien il devrait en être de même pour les services publics, qui sont avant tout le service du public, sans différenciation de genre, d’âge ou de lieu.
« Liberté, égalité, fraternité », devise de la République, est un idéal. N’en faisons pas, au nom de je ne sais quelle prétention technocrate déguisée sous les oripeaux du bon sens au plus près des territoires, une chimère, à jamais inaccessible.
*3D : décentralisation, différenciation et déconcentration
Jean-Marc Bœuf
Secrétaire général A&I UNSA