LOI 4D : A&I-UNSA combat le projet d’un pouvoir d’instruction de la collectivité

LOI 4D : A&I-UNSA combat le projet d’un pouvoir d’instruction de la collectivité

L’article 32 du projet de loi « Décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification » relatif au pouvoir d’instruction de la collectivité sur l’adjoint gestionnaire était examiné pour avis au Conseil Supérieur de l’Education le jeudi 18 mars 2021.

Grâce à l’action conjointe de l’UNSA éducation, du SNPDEN UNSA et d’A&I UNSA, le transfert pur et simple des adjoints gestionnaires aux collectivités locales est abandonné. Ne reste qu’une expérimentation d’un « pouvoir d’instruction » pour trois ans réservée aux collectivités qui en feront la demande. C’est là un moindre mal, mais cela reste un mal.

Même s’il ne s’agit pas d’une « autorité fonctionnelle » au sens plein du terme, ce « pouvoir » risque, comme nous l’avons déjà écrit, de mettre les adjoints gestionnaires d’EPLE dans des situations inconfortables, voire impossibles, avec un risque « d’injonction contradictoire » chaque fois qu’il y aura conflit entre le chef d’établissement représentant de l’État et le président de la collectivité mais également chaque fois que les collègues jugeront qu’ils n’ont pas les moyens de faire, donc d’obéir! Notre communiqué de presse du 3 mars 2021 ici.

Le texte était présenté au CSE par madame Véronique GRONNER, Adjointe à la Secrétaire Générale de notre Ministère.

Article 32 « A titre expérimental, et pour une durée de trois ans à compter de la publication du décret prévu au second alinéa du présent article, le président du conseil régional, le président du conseil départemental ou le président de toute collectivité territoriale de rattachement des établissements publics locaux d’enseignement, peut donner des instructions à l’adjoint du chef d’établissement chargé des fonctions de gestion matérielle, financière et administrative, au titre des missions relevant de la compétence de la collectivité concernée. Ce pouvoir d’instruction s’exerce dans le respect de l’autonomie de l’établissement public local d’établissement telle qu’elle est définie à l’article L. 421-4 du code de l’éducation.

 « Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions et les objectifs de l’expérimentation ainsi que les modalités d’évaluation de ses résultats. L’expérimentation est notamment conditionnée à l’insertion, dans la convention prévue à l’article L. 421-23 du code de l’éducation, de dispositions précisant les modalités de l’articulation entre l’autorité du chef d’établissement et le pouvoir d’instruction de la collectivité de rattachement à l’égard de l’adjoint du chef d’établissement mentionné à l’alinéa précédent. Le décret indique les éléments nécessairement prévus, au titre de l’expérimentation, par la convention prévue au L. 421-23 du code de l’éducation, et détermine les conditions de fixation de la liste des collectivités territoriales volontaires concernées par l’expérimentation. »

 Exposé des motifs :Article 32 – Renforcement du lien des gestionnaires de collèges et lycées avec les collectivités territoriales :cet article prévoit l’expérimentation pour une durée de trois ans d’un pouvoir d’instruction du président du conseil régional, du président du conseil départemental ou du président de toute collectivité territoriale de rattachement des établissements publics locaux d’enseignement vis à vis de l’adjoint du chef d’établissement chargé des fonctions de gestion matérielle, financière et administrative, au titre des seules missions relevant de la compétence de la collectivité concernée.

Pour le Ministère, il s‘agit simplement de renforcer le lien avec la collectivité, tout en l’encadrant. L’adjoint gestionnaire resterait un agent de l’Etat soumis à l’autorité hiérarchique du chef d’établissement. Il n’est pas question de décentralisation de l’adjoint gestionnaire, à laquelle le ministre est opposée. Il s’agit plutôt d’une mesure d’équilibre, pour répondre à une demande forte des collectivités d’un lien plus étroit avec l’EPLE.

Toujours selon le Ministère, un pouvoir d’instruction encadré, conforme aux décisions du Conseil d’administration, serait la garantie d’une meilleure qualité de la relation avec la collectivité.

Un décret en Conseil d’Etat aura à déterminer les conditions et les objectifs de l’expérimentation.

Nous ne partageons pas l’enthousiasme de notre Ministère. L’ensemble des organisations syndicales ont demandé le retrait de cet article.

L’avis rendu par le Conseil Supérieur de l’Education a été unanime dans son rejet : 60 votes CONTRE 0 votes POUR, 2 ABSTENTIONS, 4 REFUS DE VOTE

Vous trouverez ici le lien de notre intervention au CSE, qui explicite notre refus de l’article 32 au format pdf.

INTERVENTION DU SYNDICAT A&I-UNSA AU CSE DU 17/03/21

L’article 32 de la loi 4D nous est proposé ici pour avis. Il pose la question de l’administration de l’EPLE, du métier d’adjoint gestionnaire, de son devenir, et du rôle de la collectivité dans le Service Public d’Education.

L’établissement scolaire, c’est une micro-société. Ce n’est pas seulement le lieu du face à face pédagogique et de la transmission du savoir.

C’est un lieu où l’on vit, c’est-à-dire :

  • Un lieu où l’on doit être en sécurité, à l’abri des dangers du dehors ;
  • Un lieu où l’on doit manger, bien manger si possible, où l’on dort parfois ;
  • Un lieu où l’on vit en communauté avec ses copains et ses copines, sans préjugés de race, de sexe, d’opinion ;
  • Un lieu où l’on travaille, dans des conditions matérielles qui permettent d’y travailler bien ;
  • Un lieu où l’on est en sécurité sanitaire. C’est particulièrement d’actualité en ces temps de crise COVID.

L’élève a une vie sociale, culturelle, collective en dehors de la classe, dans laquelle il occupe un espace, où il passe du temps. Beaucoup de temps.

Pour faire simple, l’établissement scolaire, c’est comme à la maison : pour bien y vivre il faut que ça soit propre, bien rangé, il faut qu’on y trouve tout ce dont on a besoin matériellement, pour vivre dans un certain confort. C’est un lieu où on se sent chez soi, en sécurité. Un lieu où les courses sont faites et où on va se retrouver à table pour passer un bon moment ensemble.

Cette maison où il fait bon vivre, où l’on peut grandir, se construire, avoir des interactions avec les autres, c’est le fruit de notre travail à nous, les administratifs de l’EPLE, placés sous la responsabilité de l’adjoint gestionnaire.

Mais l’adjoint gestionnaire, qu’est-ce que ça peut bien être ?

Vu de l’enseignant, l’adjoint gestionnaire c’est :

  • Celui qui donne les clés et les feutres
  • Celui qui remet le chauffage quand il fait trop froid
  • Celui qui répare la serrure, quand elle ne fonctionne plus
  • Celui qui vend des repas
  • Celui qui donne des sous, avec qui il faut discuter projet
  • Celui qui organise les voyages

Vu de l’établissement, l’adjoint gestionnaire c’est :

  • Celui qui fait le café quand il y a une réunion
  • Celui qui se débrouille pour trouver des solutions à tous les problèmes matériels
  • Celui qui se débrouille pour trouver de l’argent, quand on en a besoin

Vu de l’Etat employeur, l’adjoint gestionnaire c’est :

  • Celui qui suit les crédits d’Etat
  • C’est parfois celui qui tient aussi la comptabilité

Vu de la collectivité de rattachement, l’adjoint gestionnaire c’est :

  • Celui à qui on doit confier des personnels, alors qu’ils ne sont pas à lui
  • Celui à qui on doit confier des locaux, alors qu’ils ne sont pas à lui
  • Celui à qui on confie des moyens financiers pour maintenir le patrimoine de la collectivité
  • Celui qui doit rendre compte de l’utilisation des moyens mis à sa disposition

En fait, l’adjoint gestionnaire c’est un peu tout ça en même temps, mais pas que…

L’EPLE, c’est le carrefour des intérêts politiques :

  • Les intérêts de l’Etat, dans la mise en œuvre de ses choix politiques nationaux, et de leur déclinaison académique, Etat représenté par le Chef d’Etablissement ;
  • Les intérêts de la communauté scolaire, représentée par le Chef d’Etablissement Président du Conseil d’Administration, qui met en synergie les usagers de la structure ;
  • Les intérêts de la collectivité, dans la mise en œuvre de la politique qu’elle impulse sur son territoire.

Qui a en charge la mise en cohérence et la mise en œuvre de tous ces intérêts parfois divergents ? L’adjoint gestionnaire.

L’équilibre est précaire, mais le système EPLE est curieusement un système qui fonctionne. Personne ne peut expliquer pourquoi ça fonctionne, mais ça fonctionne.

Cet article 32 va bouleverser l’équilibre des forces en présence.

Pas de malentendu : la collectivité exerce déjà un réel pouvoir sur l’EPLE. Pour l’exercer, elle considère déjà l’adjoint gestionnaire comme l’un de ses services déconcentré, chargé de la mise en œuvre de ses choix politiques.

Et nous sommes déjà obligés d’obéir. Sinon, personne n’aurait les moyens matériels du face à face pédagogique. En théorie, cette relation de dépendance découle de conventions de partenariat qui ont accompagné la décentralisation de l’accueil, de la restauration, de l’hébergement, de l’entretien général et technique ainsi que du recrutement et de la gestion des personnels techniques prévus dans la loi du 13 aout 2004.

Oui, la collectivité fixe déjà depuis plus de 15 ans des objectifs à l’EPLE, lui donne des moyens, et exige le compte rendu de leur utilisation. C’est l’adjoint gestionnaire qui est chargé de cette relation avec la collectivité, comme le précise l’article R421-13 du code de l’Education.

La question posée par cet article 32 est simple : est-ce assez, ou faut-il renforcer le rôle de la collectivité dans le système d’Education ?

Notre ministère se devait, comme les autres, de payer un nouvel écot à la collectivité. Parce que le processus de décentralisation, définitivement engagé, doit se poursuivre.

Très clairement, l’adjoint gestionnaire n’est que le dommage collatéral de cette nécessité à poursuivre le renforcement du pouvoir local :

  • Pas question finalement de ferrailler avec les acteurs de la santé dans l’EPLE en pleine crise COVID. Pas encore du moins…
  • Pas question de donner la main aux collectivités sur le contenu des enseignements ou sur les enseignants. Pas encore du moins…

Alors quel os donner à ronger aux collectivités ? Pourquoi pas l’adjoint gestionnaire ? Il ne sert pas à grand-chose…

Notre employeur veut bien nous sacrifier. Parce qu’il nous ignore, ou plus exactement parce qu’il ne nous connait pas.

Notre employeur nous refuse, depuis 15 ans, la réécriture de la fiche métier de l’adjoint gestionnaire qui nous réduit à un outil du suivi des moyens financiers de l’Etat et de leur comptabilité. A pas grand-chose en fait…

Cette exigence de réécriture du métier de base n’a pas d’écho, alors que nous ne demandons que la juste reconnaissance de notre métier dans toute son étendue, sa diversité et sa complexité.

Pire encore, depuis février, derrière une apparence de volonté de dialogue social, notre ministère travaille dans les académies à refondre le réseau des établissements en inféodant le petit gestionnaire matériel, qui ne serait même plus un cadre, à un super Secrétaire Général de réseau d’établissement.

Nous, tout au contraire, nous n’acceptons pas l’extinction programmée de notre espèce. La politesse élémentaire aurait voulu que ce travail de déconstruction de l’administration de l’EPLE et de disparition du métier d’adjoint gestionnaire se fasse dans la discrétion et attende la mise en application du futur article 32. Ce n’est pas le cas. Les documents ont été rendus publics. Des organisations professionnelles non représentatives y sont même associées plutôt que les représentants élus du personnel tenus dans le secret.

Dans notre récent sondage de janvier 2021 sur la question de la loi 4D, auquel 3180 collègues ont répondu :

  • 68% des adjoints gestionnaires ne se sentent pas reconnus par leur employeur ;
  • 86% des adjoints gestionnaires pensent qu’il est nécessaire de mieux décrire le contenu de leur métier

Pour revenir à la question de cet article 32, nous enjoignons à notre employeur de bien réfléchir à l’intérêt de placer un représentant des intérêts de la collectivité au sein même de l’équipe de Direction de l’EPLE.

Je reviens à notre sondage.

  • 48% seulement des adjoints gestionnaires sont satisfaits de la relation avec leur collectivité de rattachement.
  • 51% ont le sentiment que la collectivité les considère comme un de leurs service
  • 69% ont le sentiment que les injonctions de la collectivité les mettent parfois en difficulté.
  • Pire encore, 54% d’entre eux ont déjà été confrontés à des directives de la collectivité qui ne leur semblaient pas conforme à la réglementation.
  • 82% des adjoints gestionnaires souhaitent que la relation avec la collectivité soit mieux définie.
  • Enfin, 82% des adjoints gestionnaires pensent qu’un renforcement du poids de la collectivité dans la vie de l’établissement n’améliorerait pas son fonctionnement.

Vous avez bien compris nos exigences :

  • Nous voulons la reconnaissance du métier de base de l’adjoint gestionnaire en particulier par la réécriture de sa fiche métier.
  • Nous voulons clarifier la relation à la collectivité.

Cette clarification est déjà possible par l’application de la loi. Celle-ci fonde la relation d’association de l’EPLE, de l’Etat et de la Collectivité sur l’existence d’une convention de partenariat qui a pour objet de décrire la relation entre les partenaires associés au Service public d’Education. Cette disposition, pourtant obligatoire, n’est pas mise en œuvre.

Vous l’avez compris, nous rejetons l’article 32. Mais nous avons pleinement conscience du caractère vain de la démarche :

  • Les collectivités se sont déjà arrogées le droit à l’injonction. Dans la pratique, bon nombre d’entre elles verront dans l’article 32 une reconnaissance de la coutume locale ;
  • Les collectivités qui s’empareront de l’article 32 seront dans une stratégie de conquête de la citadelle EPLE. Elles disposeront par ce biais d’un acteur au cœur du système. Cette prise du pouvoir éducatif, de nombreuses collectivités la revendique déjà.
  • Hélas, certaines collectivités ne trouveront aucun intérêt à cet article 32. Pour elles, le débat est d’arrière-garde. Elles ont déjà externalisé qui l’entretien des locaux, qui la maintenance, qui la restauration scolaire. Ces collectivités nient déjà l’existence d’un pouvoir fonctionnel de l’adjoint gestionnaire sur leurs agents.

La loi le permet. Ces collectivités sont dans leur droit. Et là où ces collectivités prennent seules la main sur leurs personnels, leurs bâtiments, leurs moyens délégués, les recteurs, représentants de l’Etat, n’y ont pas trouvé à redire.

En conclusion, cet article 32 doit faire peur à tous les acteurs du système éducatif.

Notre avis au CSE sera probablement contraire. Mais il reste un avis, dont il ne sera pas tenu compte.

Le débat sur le renforcement de la collectivité dans le système éducatif va se poursuivre devant la représentation nationale.

Et là, ce sera peut-être la roue de l’infortune :

  • Nous ne sommes pas à l’abri de propositions d’amendement du texte visant à renforcer encore plus le poids de la collectivité dans notre système éducatif ;
  • Nous ne sommes pas non plus à l’abri d’une prise de pouvoir de la collectivité au détour d’une exigence de décentralisation de l’adjoint gestionnaire. Un vieux fantasme pas encore assouvi…

Le débat démocratique est respectable. Et nous le respecterons. Ses conclusions, quelles qu’elles soient, s’imposeront à nous. Et les fonctionnaires que nous sommes tous mettront en œuvre les choix républicains. Mais cela ne nous empêche pas de réaffirmer ici notre attachement à un Service Public d’Education maintenu sous la responsabilité de l’Etat, à l’abri des particularismes politiques locaux et de leur volatilité.

Reste la question amère du pourquoi.

Pourquoi prend -on le risque de faire imploser l’EPLE au moment où nous devrions mettre toutes nos forces dans un partenariat actif EPLE/Etat/Collectivité pour concevoir et permettre le Service Public d’Education de l’après COVID ?

Permettez-moi, aussi, et c’est la conclusion de ma conclusion, de vous fournir une dernière preuve que la situation mérite toute votre inquiétude : je ne me souviens pas que notre vénérable assemblée, ces 15 dernières années, ait pris autant de temps à s’interroger sur l’administration de l’Ecole.

Je vous remercie de votre attention.

Le 17 mars 2021,

Jean-Marc Cazaudumec – A&I UNSA – Secrétaire national chargé de l’enseignement scolaire,

Conseil supérieur de l’éducation.